Jour après jour, déferle sur la question de l’autisme un flux médiatique qui finit par questionner. Le tourbillon actuel où l’espace médiatique est investi comme une tribune pour mettre plus ou moins en avant les différents courants scientifiques ou non, laisse invisibles les actions construites, sur le terrain, dans la quotidienneté et la proximité. C’est dans ce contexte qu’un collectif de professionnels et de parents se risque à faire part de son expérience pour donner à connaître une facette d’une réalité souvent inaperçue de l’accompagnement des enfants autistes.
Cet article est le résultat d’une démarche collective impliquant les professionnels et les parents. Organisme de formation « spécialisé » dans les approches participatives, Trajectoire Formation s’est aventuré sur des chemins inhabituels.
L’enjeu externe est clair : produire un article pour faire connaître et reconnaître les spécificités de l’IME l’Essor dans l’accompagnement des enfants autistes.
Oui mais... la commande ne s’apparente pas à un travail de reportage journalistique.
Au niveau de la dynamique interne, cet article se « transforme » en moyen de mettre au travail les pratiques. Se mettre collectivement en situation d’explicitation des choix et des pratiques implique d’accepter et d’être capable de redécouvrir ses actes professionnels quotidiens, de les nommer, de les montrer, de les partager, bref de se construire une posture de praticiens réflexifs.
Avec énergie, plaisir et effort, les professionnels et les parents se sont engagés pendant 4 mois dans cette démarche. Avec surprise, ils ont repéré combien ce travail a été formateur et a consolidé le projet collectif.
Il semble bien que cet article ne soit que la partie émergée de l’iceberg...
Glossaire :
ABA : Analyse Appliquée du Comportement, "Applied Behavior Analysis".
TEACCH : Traitement et Scolarisation des Enfants Autistes ou atteints de Troubles de la Communication similaire.
LSF : Langue des signes Française
PECS : Système de communication par Echanges d'Images.
Au cœur de la ville, un espace pour faire repère
Si vous demandez dans le quartier des Chaprais en plein cœur de Besançon « où se trouve l’Essor ? », il y a peu de personnes qui pourront vous renseigner correctement. En revanche, en précisant « c’est une école », sans hésiter les habitants vous indiqueront l’établissement qui effectivement de l’extérieur a tout l’air d’une école de quartier. Passer la porte, l’organisation réfléchie et rigoureuse du territoire est visible et lisible : des espaces clairement définis se répartissent autour de la cour en demi-cercle, faisant fonction de place centrale. Dans chaque lieu, nous retrouvons des espaces délimités et identifiés par des repères visuels, des coins spécifiquement dévolus à certaines activités, sobres et qui ne font place qu’à l’essentiel. Leur structuration apparaît d’emblée comme une composante importante de l’accueil des enfants autistes comme un premier élément de réponse à leurs difficultés à décoder notre environnement; comme un facteur permettant d’éviter la non compréhension, la confusion et donc l’angoisse de «l’inconnu».
Construire avec le temps les apprentissages de la vie
Poussez la porte de la salle à manger vers 13 heures, et vous voilà comme «happé» par un repas de famille – certes nombreuse– qui se termine. Chacun, adultes et enfants, prend part au débarrassage, au nettoyage, à la vaisselle... avec une apparente facilité. Partager ces temps du quotidien permet, mieux que de grands discours, de comprendre combien les apprentissages de la vie constituent le cœur de métier de l’IME l’Essor. Apprendre à vivre dans notre société, dans l’optique d’une vie future d’adulte en prenant en compte les particularités et en s’appuyant sur les potentialités, tel est le projet partagé des familles et des professionnels.
« On s’est habité à ne pas être impatient, à ne pas attendre de miracle. La relation s’établit dans la durée, avec le temps. La diversité des activités est au fil du temps l’occasion d’apprentissages multiples.» Ces paroles d’une mère d’une enfant autiste accueillie à l’Essor met en lumière l’importance du respect des rythmes. Les questions de temporalité traversent toutes les dimensions de l’accompagnement. L’organisation du temps – à travers le schéma journalier, le schéma d’activité, l’emploi du temps sur la semaine – permet d’appréhender la succession des activités et donc d’anticiper. L’instauration de rituels et surtout de régularités des tâches est nécessaire pour installer un contexte rassurant favorable aux apprentissages. Il est nécessaire de faire un effort de clarification et de subdivision en petites étapes du processus d’apprentissage. Les enfants autistes n’appréhendent pas une action ou une activité comme un ensemble cohérent d’étapes mais comme un enchaînement de détails. L’apprentissage de nouvelles compétences se fait donc graduellement, pas à pas dans différentes situations. Le travail dans la durée vise à acquérir la capacité de s’inscrire dans un processus d’intégration en adoptant des comportements adaptés aux situations diverses de la vie quotidienne et sociale. Ne pas aller trop vite et toujours aller de l’avant !
Comme une analogie avec les métiers à tisser
À la rentrée de septembre 2011, Rémi, 6 ans, est accueilli à l’Essor Ses parents ont choisi pour leur enfant la méthode ABA. Ils savent que l’Essor ne s’inscrit pas dans une approche exclusive. Il va être question de tisser un accompagnement adapté avec le fil particulier de l’histoire de Rémi. Tisser avec ce fil, c’est s’inscrire dans la continuité, permettre du lien avec la famille, ne pas bousculer les repères établis. Tisser avec ce fil, c’est aussi réussir à l’intégrer dans une trame construite au fil du temps par les professionnels de l’IME. Ne pas opter à priori pour une conception, ne pas choisir d’emblée une méthode convoque l’équipe à créer - adapter une organisation collective, à inventer - renouveler des actions individuelles à l’image d’une trame, d’un ensemble de fils transversaux entrelacés. Le travail de recherches, d’expériences, de formation a permis de construire un cadre commun de l’accompagnement et du soin. Ce cadre, tel un métier à tisser, rend possible une ouverture sur de multiples méthodes et outils réinvestis dans une composition – un tissage – adaptée à la singularité de l’enfant.
Une pièce tissée essentielle : le travail à la table
Le travail à la table est à l’Essor une activité structurante de la démarche d’apprentissage proposée par l’institutrice et les éducateurs. À la base, cette activité se réfère au programme TEACCH dont le parti pris est d’adapter en priorité l’environnement pour favoriser l’apprentissage. De cette approche, les professionnels de l’Essor ont retenu et mettent en œuvre une structuration de l’espace d’apprentissage. Le travail à la table constitue la première marche systématique d’acquisition de capacités à partir de laquelle s’enclenche ensuite un travail de généralisation. Pour exemple : à la table, par un travail organisé et répété de manipulations, l’enfant acquiert la capacité de trier et de catégoriser. Des situations de la vie quotidienne, telle que la mise de table, permettront ensuite à l’enfant de mobiliser cette capacité en vue de sa généralisation. Au risque de surprendre, les professionnels de l’Essor n’ont pas hésité à enrichir leurs pratiques du travail à la table avec des composantes de la méthode ABA. Ainsi, l’activité que l’enfant doit réaliser est décomposée en une succession de consignes précises et de tâches élémentaires faisant penser à une approche procédurale. Les guidances, positionnées par ABA sur le champ du comportement, ont été retravaillées pour étayer la démarche d’apprentissage.
Lors de son travail à la table, l’enfant va être soutenu par des guidances verbales, visuelles, gestuelles ou physiques en fonction de son canal perceptif. À nouveau, ces guidances s’inscrivent bien dans une progression visant à terme à s’estomper. Comme une pièce tissée essentielle, le travail à la table est mobilisé par les professionnels dans les dimensions éducative, pédagogique et cognitive de l’accompagnement
Codes et sens : un travail d’équilibriste
Rendre possible une communication est bien entendu un enjeu majeur de l’accompagnement des enfants autistes. L’enfant autiste se vit et se perçoit dans un monde étranger. Il utilise une communication, un langage et une relation qui semblent inadaptés. Aussi, la conviction de l’équipe de l’Essor (partagée par de nombreux praticiens) est que l’enfant autiste est toujours dans un effort de communication. De ce préambule, découle alors la nécessaire élaboration de stratégies, méthodes et outils de communication. L’outillage en communication est abondant et très facile à trouver, il est ainsi tentant de réduire la communication à sa dimension codage. Une vigilance permanente de l’équipe est nécessaire pour toujours et toujours, encore et encore associer la question du sens aux propositions d’« outillage » : objets; photos; dessins; symboles; pictogrammes. D’autre part, la conception de supports variés, adaptés à chaque enfant, ne doit pas s’écarter de l’objectif principal : être compréhensible par tous et partagé avec le plus grand nombre. Co-construire et partager avec la famille les codes de communication devient donc un incontournable. De là, découle l’idée d’apporter aux enfants toutes sortes de supports langagiers en adéquation entre eux et facilement utilisables par tout un chacun, toujours dans un but de généralisation. Ainsi, en cohérence avec la logique de tissage à plusieurs fils, la conception des supports prend appui sur différentes approches. À partir de la Communication Concrète des pictogrammes et symboles sont utilisés par l’ensemble des enfants et des autres personnes. Ils servent également à signifier les lieux. L’idée de détourner un objet pour communiquer, à l’instar de la balle de ping-pong qui vient signifier le travail à la table. Les professionnels mobilisent également la communication verbale accompagnée de gestes, type Makaton et LSF ainsi que les images d’objets en lien avec PECS
Langage et dialogue, quand il est question du corps
La prise en compte du corps comme un lieu où se croisent sensations, émotions, désirs, ressentis et besoins charpente le travail de la communication et de sa signification. L’enfant existe au monde par ses postures, son tonus, ses mimiques, ses réactions tonico-émotionnelles qui ont valeur de langage. Les comportements moteurs et l’expression corporelle de l’enfant autiste sont considérés comme un vrai langage corporel identifié avec ses spécificités reconnues : stéréotypie, hyper ou hypo sensibilité, gestes répétés... Ce langage corporel va être privilégié afin d’installer du sens à ses productions et instaurer des interactions permettant d’entrer en relation avec l’enfant. Dans cette optique, des activités corporelles vont être privilégiées (jeux moteurs, danse ressentie, activités sportives) comme moyen d’instaurer un dialogue corporel adapté et rendre possible une entrée en relation. Les liens entre le comportement corporel, la vie psychique, affective et relationnelle sont constamment présents à l’esprit des professionnels et des parents pour élaborer des propositions adaptées.
Être en proposition
Les difficultés que rencontre la personne autiste à appréhender et interagir sur son environnement entravent son désir de découvrir et d’expérimenter des activités nouvelles. Des propositions initiatrices de changement dans les habitudes de vie de l’enfant se révèlent souvent source d’angoisse et de stress, parfois accompagnée de troubles du comportement. Pour autant, l’expression de ces troubles ne peut faire obstacle constamment aux apprentissages indispensables au développement de l’enfant. Il s’agit donc d’accompagner l’enfant à surmonter ses craintes. Développer des activités qui vont faire sens pour l’enfant est un enjeu de taille qui va servir de support d’émergence de ses capacités et potentialités. C’est aussi l’aider à ne pas se laisser submerger par une nouveauté perçue comme hostile. Ainsi, cette démarche se fait étape par étape, elle devient possible parce que l’adulte soutient l’enfant lorsqu’il est en difficulté, parce qu’il a confiance dans ses compétences et qu’il l’encourage dans sa progression. Elle peut s’inscrire dans un processus long qui a besoin d’être séquencé pour être appréhendé au fil du temps. Accepter que ces étapes prennent du temps, c’est donner le temps nécessaire à l’adaptation de l’enfant. Chaque progrès lui permet d’améliorer sa compréhension du monde, de la généraliser dans différents lieux, notamment dans le cadre familial et renforce l’estime de soi. Cette voie de progression est une porte expérimentale que les professionnels de L’Essor ont décidé d’ouvrir, quitte parfois à la forcer un peu pour éviter de laisser trop de place à l’inertie.
Une démarche collective d‘écriture
Cet article est le résultat d’une démarche collective impliquant les professionnels et les parents. Organisme de formation « spécialisé » dans les approches participatives, Trajectoire Formation s’est aventuré sur des chemins inhabituels. L’enjeu externe est clair : produire un article pour faire connaître et reconnaître les spécificités de l’IME l’Essor dans l’accompagnement des enfants autistes. Oui mais... la commande ne s’apparente pas à un travail de reportage journalistique. Au niveau de la dynamique interne, cet article se « transforme » en moyen de mettre au travail les pratiques. Se mettre collectivement en situation d’explicitation des choix et des pratiques implique d’accepter et d’être capable de redécouvrir ses actes professionnels quotidiens, de les nommer, de les montrer, de les partager, bref de se construire une posture de praticiens réflexifs. Avec énergie, plaisir et effort, les professionnels et les parents se sont engagés pendant 4 mois dans cette démarche. Avec surprise, ils ont repéré combien ce travail a été formateur et a consolidé le projet collectif. Il semble bien que cet article ne soit que la partie émergée de l’iceberg...
Quelques chiffres
L’Institut Médico Éducatif L’Essor est un des 35 établissements de l’Association d’Hygiène Sociale de Franche-Comté. L’Essor accompagne 30 enfants dont 18 jeunes autistes âgés de 3 à 16 ans sur orientation de la CDAPH (Commission des Droits et de l’Autonomie des Personnes Handicapées). La question de la prise en charge des enfants et adolescents «autistes» est d’une actualité permanente depuis plusieurs décennies et se trouve au centre des préoccupations des familles concernées, des pouvoirs publics et des opérateurs de terrain. Les méthodes de prise en charge se succèdent dans le temps et il apparaît précisément que certains courants de pensées sont en concurrence alors que l’accompagnement à défaut d’un traitement curatif se compose d’une complémentarité d’interventions éducatives, psychologiques et comportementales. L’Association d’Hygiène Sociale a décidé de s’engager dans une réflexion et une recherche sur cette question. Elle vise, grâce au travail entrepris à l’IME l’Essor, à intensifier cette démarche dans l’ensemble des établissements relevant de son autorité. Elle souhaite être porteuse d’un projet de recherche en partenariat afin d’élaborer un référentiel pour les professionnels. Elle entend ainsi marquer sa distance par rapport aux méthodes dualistes et univoques dont les bienfaits constatés ne peuvent être généralisés à l’ensemble des enfants concernés.
Parole de parents
Dans la grande majorité des cas, par le biais des médias mais aussi bien souvent par des formations, les parents ont des connaissances sur le handicap de leur enfant. Aussi ont-ils des attentes précises non seulement par rapport à l’évolution de leur enfant mais aussi concernant leur mode de prise en charge. En tant que parents, nous nous sommes positionnés avec notre expertise parentale et notre bagage de connaissances. L’équipe de l’Essor nous a accueillis avec considération et nous avons eu le sentiment d’être écoutés. Au début de notre collaboration, nos attentes étaient conséquentes. Rêve de l’acquisition de la propreté, d’une amélioration notable de la motricité fine, que notre enfant apprenne à se servir de ses mains pour développer son autonomie : s’habiller seule, manger seule et le rêve suprême était que notre enfant acquiert le langage verbal même si nous savions que plus de 50% des autistes n’ont pas accès au langage traditionnel. Le rythme des réunions de synthèse, l’élaboration du projet individualisé de notre enfant ainsi que le lien quotidien avec le cahier de liaison nous ont appris à devenir attentifs aux petits progrès, à devenir patients, à accepter que la réalisation de nos espoirs doive se faire petit à petit, par paliers, lentement mais sûrement. Enfin, le contact effectif entre l’équipe et les intervenants extérieurs garantit aussi un gage de qualité (ce qui nous fait toujours garder espoir et énergie pour notre enfant).
Autisme : quelques repères
Selon la Haute Autorité de Santé les définitions des troubles envahissants du développement (TED), dont fait partie l’autisme, ont beaucoup évolué ces 30 dernières années et diffèrent selon les classifications. Dans cet état de connaissances, les TED sont définis comme un groupe hétérogène de troubles qui se caractèrisent tous par des altérations qualitatives des interactions sociales réciproques et des modalités de communication et de langage, ainsi que par un répertoire d’intérêts et d’activités restreint, stéréotypés et répétitif. Ces anomalies qualitatives atteignent de manière envahissante la personne et son fonctionnement, et ce en toutes situations. En chiffre Une compilation des différentes études montrent que le «spectre autistique» touche une naissance sur 160. En France, 600000 personnes relèvent de cette pathologie.
Claire Pfauwadel