Echanger pour apprendre
Quand Claire me propose de m’occuper de l’organisation de la journée d’étude des cafés du partage de l’APF, je dis tout de suite « oui » car l’idée d’une rencontre entre parents d’enfants en situation de handicap et des professionnels du handicap m’enthousiasme dans un premier temps.
Pour comprendre mon intérêt, un mot tout d’abord des cafés du partage : le café du partage est né en 2011. Il réunit des parents d’enfants en situation de handicap, souhaitant échanger autour de questions d’éducation ou tout simplement partager leur expérience de parents faisant face à toutes les situations de la vie. Des professionnels sont invités pour apporter si besoin un éclairage technique ou une expertise sur une question. Les participants au café du partage vont progressivement affirmer une volonté de croiser les regards pour parvenir à apprendre les uns des autres, qui du parent adulte –éducateur 1 de son enfant, qui du professionnel éducateur spécialisé, qui de l’expert médecin –rééducateur, pour accompagner cet enfant différent dans son devenir de futur homme- citoyen. Professionnelle du champ du handicap depuis quelques décennies, cette initiative agit en moi comme une piqure de rappel que les parents d’enfants en situation de handicap ont en eux cette capacité et cette volonté à agir par eux-mêmes, à trouver des solutions en dehors des services institués, à créer, à me surprendre.
Je sais qu’il est bon de ne pas les limiter dans une position de demandeur d’aide d’accompagnement et qu’ils ont des choses à dire. Je sais aussi qu’il est difficile dans un cadre institutionnel de recueillir leurs points de vue, leurs envies, leurs rêves même… les enquêtes de satisfaction adressées aux familles sont comme leur nom l’indique, un outil de mesure de satisfaction, et ne représente qu’un écho lointain à ce qui les mobilise profondément. Cette journée va me permettre d’apporter de l’eau à mon moulin de professionnelle désireuse de me conformer à la loi 2002-2, laquelle, ne l’oublions pas, place la famille au cœur du projet d’accompagnement de leur enfant.
Dans un deuxième temps, l’intitulé du thème heurte mes oreilles : socialisation et comportements déviants. Pourquoi les parents mettent-ils en parallèle la notion de socialisation de l’enfant ou l’adulte en situation de handicap, renvoyant à une capacité intrinsèque à la condition humaine et le comportement déviant, qui pour moi, renvoie à des notions de sociologie de la déviance et à la délinquance ?
Croiser les regards
J’entre de plein fouet dans le projet de cette journée. Le préalable pour croiser les regards, accepter les mots des parents, les comprendre, au sens littéral du mot, les prendre avec moi et me dégager de mes références théoriques … aller au-delà de mes frontières et m’inviter dans un autre univers, nourri par une autre sémantique.
Cette journée nous permet avec l’éclairage conceptuel de Christine Mayer (méta-pédagogue) de :
- définir et de distinguer deux notions importantes souvent utilisées l’une pour l’autre :
La socialisation qui est l’apprentissage de la capacité à entrer en relation sociale avec les autres et d’intégrer les codes de communication communs et les codes de société. Elle implique la relation de l’individu à son environnement
La sociabilisation considérée comme un processus permettant une bonne socialisation.
- d’identifier les différents besoins de l’humain selon la pyramide de Maslow
- de comprendre les comportements déviants, comme la conséquence d’une absence de sociabilisation et de socialisation et comme la résultante d’un besoin non couvert.
- de découvrir des techniques et méthode d’intervention pour faire évoluer les comportements déviants.
Des temps d’atelier sont l’occasion d’échanges féconds, et nous amène à réfléchir sur les facteurs de réussite dans le processus de socialisation et à l’inverse les freins et les blocages, de comprendre et décrypter les comportements déviants et d’envisager des pistes d’action concrètes et de réflexion.
Les points émergents de nos échanges sont :
- l’importance du rôle et de l’impact de l’environnement dans l’apparition des comportements déviants et dans les possibilités de résolution
- l’importance de la reconnaissance des besoins, envies de la personne en situation de handicap comme moteur de l’accompagnement
- le comportement déviant, envisagé non pas uniquement dans un rapport à une norme sociale mais dans la perspective d’un chemin dévié de sa trajectoire initiale.
- de nouvelles fonctions ou modalités d’accompagnement à proposer aux personnes en situation de handicap : les coachs professionnels, le dispositif de l’emploi accompagné2.
Parents et professionnels, prêts pour la rencontre ?
Cette journée aura rassemblée une vingtaine de personnes alors que j’en imaginais une cinquantaine au moins, au regard de la thématique … Peu de parents, assez peu de professionnels. Quand en est-il ? Un manque de communication, un manque d’intérêt ? Parents et professionnels ne seraient-ils encore pas tout à fait prêts à se côtoyer en dehors des espaces-temps institués par les services ou établissements ? Est-ce à dire que l’un comme l’autre n’auraient pas encore saisi ce qu’ils peuvent mutuellement s’apporter ? Peut-être pas, je vais vite en besogne. Il y a l’histoire de changer ses habitudes, d’accepter de se regarder, de s’envisager au -delà du rôle social, au –delà de la catégorie, parents- professionnels- experts.
Ces rôles sociaux enferment tout un chacun dans des comportements attendus. La relation parents-professionnels ou parents-experts est marquée du sceau de la domination et du conflit, car l’expert est par définition et assignation de rôle celui qui sait. Je ne supporte pas en tant que mère le comportement d’un médecin qui va me prendre de haut et m’imposer sa vérité et vous, n’avez-vous jamais éprouvé de l’énervement ou de la colère face à un spécialiste inabordable tant dans ses paroles que dans ses actes ? Accepter de partager, c’est d’abord et avant tout accepter de construire une relation de réciprocité, une relation de don –contre –don telle que l’a définie Marcel Mauss. Je te donne, tu reçois. Le fait de recevoir te place en obligation de redonner. Je reçois de toi et je te redonne et ainsi de suite. C’est selon Marcel Mauss ce qui permet de garantir la paix et de sortir du conflit ou de la crise. … une autre façon d’envisager le processus de socialisation !
Quoi qu’il en soit, je retire de cette journée la fécondité de nos échanges, le plaisir à partager son expérience de parents ou de professionnels, à se raconter en dehors de la question du projet de l’enfant et de ses contraintes (administratives, institutionnelles), d’écouter ensemble les propos de Christine Mayer, de découvrir ensemble des techniques ou des outils pour faire face aux comportements déviants. Oui, c’est possible que chacun à la place qu’il occupe donne et reçoive de l’autre.
Car face à la crise de l’enfant ou de l’adulte en situation de handicap, professionnels et parents en sont au même point, trouver une solution de sortie de crise et assumer le regard et les réactions de l’environnement et continuer à avancer avec cet enfant ou cet adulte différent.
Et pour conclure, à l’heure de la désinstitutionnalisation, de ce nouveau projet sociétal de faire institution hors les murs, il me paraît plus que nécessaire de continuer à créer des espace-temps favorisant l’échange et la construction de savoirs collectifs, fruits des expériences et des savoirs de chacun… parents, professionnels de terrain, professionnels experts.
Sylvie Molina
1 En référence à l’ouvrage de Philippe Gaberan.- être adulte éducateur c’est… éditions Eres
2 www.emploi-accompagné- le dispositif de l’emploi accompagné : loi n°2016-1088 du 8 août 2016 relative au travail, à la modernisation du dialogue social et à la sécurisation des parcours professionnels