Guillaume Dopus - Page blanche pas angoissante.

Depuis octobre 2018, Trajectoire Formation expérimente une nouvelle modalité de formation : les ateliers du mercredi. Ce sont des temps de formation ouverts à toutes les promotions présentes ce jour-là. L’idée est de renforcer l’interconnaissance des métiers, des formations et des personnes engagés à Trajectoire Formation. Les stagiaires s’inscrivent ainsi à l’atelier qui les intéresse, avec, au choix, par exemple : « De la poésie au slam », « Meetic d’écriture », « Revue de presse », « Ethique et tac », « Recycréer », « La langue des signes, outil de coopération », … Nous vous proposons une série d’épisodes dans Trans-Formations dans lesquels nous donnons la parole aux participants.

Episode 1 : « Meetic d'écriture, quand l'animation rencontre la culture ».

L’atelier d’écriture, qu’est-ce que c’est ?

Le terme semble à la fois familier et lointain et pourtant il renvoie à deux éléments essentiels de nos métiers : la dimension collective, proche de l’animation, et la participation à une pratique culturelle. Ce doux mélange est une illustration précise de ce que peut être l’animation culturelle.

Pourquoi je vous parle de tout ça ? Parce que j’ai moi-même vécu un atelier d’écriture hier, animé par Michelle Ballanger, auteure et institutrice. Ce n’est pas la première fois que je vis un atelier d’écriture. A chaque fois, c’est un plaisir confirmé et épaté. Oui épaté par là où cet exercice peut nous mener. Celui d’hier s’intitulait « Meetic d'écriture ». On y a écrit du western. Rien que ça.

Après l’atelier, j’ai pu échanger avec Michelle sur ce que l’on venait de vivre. Petit résumé de nos échanges à bâtons rompus…

Un atelier d’écriture se déroule en plusieurs étapes.

• La première vise à donner une référence commune au groupe de participants. En général, il s’agit de découvrir une œuvre, en écoutant ou lisant un extrait ; hier un livre d’Alessandro Baricco, City. C’est l’histoire d’un petit garçon, Gould, qui est « un génie » et de sa gouvernante Shatzy, qui écrit un western en même temps qu’elle accompagne Gould. Une histoire dans l’histoire donc, puisqu’on suit le western autant que les aventures des autres personnages. Pour nous, ce sera la partie western qui va être exploitée. Michelle nous propose de lire un passage du roman où l’on voit les personnages imaginés par Shatsy vivre leurs histoires : un saloon crasseux, un étranger nouveau dans la ville, et des sœurs mystérieuses qui utilisent leur fusil aussi bien que Lucky Luke.
• La seconde étape permet à chacun d’exprimer de manière individuelle ce qu’il ressent et ce qu’il associe à cette référence. Il crée ainsi son propre matériau (du texte, écrit de façon brute et désordonnée) à partir de l’univers qu’il a découvert.
• Ensuite, on peut se lancer dans le travail d’écriture à proprement parler…

On pourrait ici rapprocher le rôle de l’animateur de celui d’un « médiateur », dans le sens où il fait le lien entre une œuvre et un groupe. Mais en fait, sa démarche va plus loin puisqu’au travers d’une œuvre, il met en marche une démarche de création artistique qui fait lien entre les membres du groupe.

Le choix de l’œuvre originale est capital dans un atelier d’écriture. Il s’agit en effet qu’elle permette à chaque participant d’embarquer dans un univers créatif. Elle doit générer cette créativité, comme un « terreau fertile » à l’imagination, mais doit en même temps pouvoir faire culture commune pour tous les participants. Que ce serait-il passé si un des participants n’avait jamais vu ou entendu parler de western ? A cette question, Michelle répond tout simplement : ce n’est jamais arrivé, tout le monde a déjà vu un western. Comme quoi, la culture ça permet de faire du commun plus que du séparateur…

Alexandre Baricco, City, Albin Michel, 2000

L’œuvre permet aussi d’inspirer et de décomplexer pour l’exercice à produire. Quand on nous a annoncé, à Amélie, mon binôme d’écriture, et moi-même que nous allions écrire du western, c’est venu comme une évidence. Western… Le soleil de l’ouest, le saloon, les hommes qui s’engueulent, les colts, les chevaux, le whisky, … Et c’était parti. Si on nous avait juste donné une feuille en nous demandant de raconter une histoire, nous en aurions perdu du temps à se mettre d’accord et créer notre univers. Ici, l’important c’est d’écrire. De (re)découvrir le plaisir d’écrire, et de partager ce plaisir à deux.

Dans l’atelier d’écriture c’est l’union formée par les participants, l’animateur, l’œuvre et son univers qui fait naître de nouveaux textes. Ces histoires sont le fruit de cette alchimie brève, éphémère et par là même difficilement partageables avec d’autres. Nous nous sommes demandé, avec Michelle, si nous allions vous présenter les textes produits par les binômes. Après une courte réflexion, nous en sommes venues à la conclusion que ce ne serait pas très pertinent : pour nous, participants, ces textes nous auraient renvoyés à l’expérience vécue, aux différentes étapes, aux consignes données à chaque fois pour jouer avec les mots, les sonorités, aux résultats que ça a produit sur nos écrits, à la difficulté d’écrire à plusieurs… Pour les lecteurs, sortis de leur contexte créatif, ces textes de western n’auraient pas eu beaucoup de sens… Car c’est bien ça qui est en jeu ici : le sens que nous, le groupe, avons donné à ces mots, à ce texte de Baricco, ce sens qui a pu nous faire rire ou nous émouvoir lorsque chaque binôme présentait au groupe ses productions, il nous est propre, il appartient à ce groupe et est difficilement racontable à qui n’a pas vécu l’expérience avec nous. Cela pose la question que les professionnels de l’animation se posent souvent : comment raconter ce qui n’a de sens que dans l’expérience ? Comment faire valoir tout ce que l’animation collective produit, quand les productions n’ont de sens que pour ceux qui l’ont vécu ?

A Trajectoire, on se pose souvent la question « à quoi sert la culture dans l’éducation populaire ? » Nous sommes convaincus que ses apports sont nombreux, et que les possibilités sont encore loin d’être toute imaginées. Pour moi, vivre un atelier d’écriture, c’est trouver, et écrire, un bout de la réponse à cette question…