Guillaume Dopus - Le poids des certitudes.
Depuis plusieurs années, Trajectoire Formation installe dans ses formations d’animateurs professionnels deux jours dédiés à la mise en application pratique du principe de laïcité. La base de ces séances est celle que le Commissariat général à l’égalité des territoires et le Centre national de la fonction publique territoriale ont mise en place au travers du plan « Valeurs de la République et Laïcité ».
Quoi de plus naturel dans un organisme de formation revendiquant son appartenance au champ de l’éducation populaire, que de s’appuyer, pour en faire des objets de travail, sur les situations vécues par les stagiaires eux-mêmes au sein de leur structure ? Ces situations ainsi évoquées relatent, la plupart du temps des problématiques en lien avec le monde des adultes, que ceux-ci soient parents, élus, collègues …
Les stagiaires du BPJEPS Loisirs tout public « salariés » qui se déroule actuellement à Vesoul ont révélé, lors du tour de table au cours duquel ces cas pratiques sont décrits, des situations mettant plutôt en avant la relation pédagogique, le cœur de métier d’animateur en accueil collectif de mineurs. Une journée supplémentaire a donc été organisée pour prendre le temps d’en discuter entre professionnels, mêlant ainsi questionnements sur la posture éducative, et pistes de travail pour mieux appréhender ces questions parfois difficiles.
Echantillon (représentatif) de ces expériences vécues :
« Mon centre utilise pour ses activités, des chants et des contes et l’équipe s’est rendu compte qu’ils contenaient de nombreuses références religieuses. Suite à une formation Laïcité qu’une bonne partie de l’équipe a suivie, cette dernière est divisée sur le fait de continuer ou pas à utiliser ces supports pédagogiques. L’argument mis en avant est celui de la neutralité du service public, car notre centre est municipal. Quelle décision prendre finalement ? Sur la base de quels arguments ? »
« Ma commune a décidé d’accueillir quelques familles de migrants, et le centre dans lequel je travaille accueille des enfants arrivés en France depuis peu. La décision de la commune est controversée parmi les habitants, et ces tensions sont palpables entre les enfants eux-mêmes. J’ai même été témoin de propos racistes de la part de quelques-uns. Même parmi les plus petits, j’observe des comportements étranges (untel ne veut pas s’assoir à côté de tel autre car il n’a pas la même couleur de peau). Notre projet pédagogique fait une large place au « Vivre ensemble », comment allons-nous traiter ce nouveau problème ? »
« C’est traditionnel, dans notre centre en milieu rural, nous avons l’habitude depuis longtemps, de conduire des activités spécifiques à l’occasion des fêtes (Pâques, Noël notamment). Mais nous accueillons de plus en plus d’enfants de familles issues de l’immigration. Même s’ils sont très peu nombreux, nous nous interrogeons de plus en plus sur la pertinence de maintenir cette pratique. Cette année c’est décidé, nous allons mettre cette question en débat dans la phase de préparation du projet pédagogique. Mais comment allons-nous traduire en actes cette intention ? Comment ensuite l’expliquer aux enfants et aux parents ? »
« Notre centre accueille des enfants de 3 à 12 ans. L’actualité récente a parfois été dramatique, notamment lorsque de nouveaux attentats se produisent et occupent le devant de la scène. Parmi les enfants les plus âgés, que j’entends discuter entre eux, plusieurs tiennent des propos qui me préoccupent. Ils prétendent que tout ce qui est dit aux infos est inventé et que ce ne sont que des montages pour faire peur aux gens et pour accuser une partie de la population. Nous ne voulons pas rester sans rien faire face à ce constat, oui mais comment ? »
« Les questions religieuses sont très présentes en ce moment dans le débat public et cela n’échappe pas aux oreilles des enfants que nous accueillons dans notre centre. Nous avons, de longue date, créé un climat de confiance avec eux, ce qui fait qu’ils nous posent sans cesse de nombreuses questions. Mais, de plus en plus de ces questions concernent la religion, et même parfois des sujets politiques. Mes collègues et moi sommes bien embarrassées et nous ne savons pas trop comment réagir face à ces sollicitations pour lesquelles nous avons plutôt, pour l’instant, « botté en touche ». Mais nous aimerions avancer sur ce sujet et établir une ligne de conduite plus claire. Qu’en pensez-vous ? »
On le voit, pas question ici de contenu de l’assiette, ou de l’affichage de signes ostensibles. On est, avec ces interrogations, au cœur de dimensions des projets éducatifs qui trouvent parfois difficilement leurs traductions pratiques. Et, pour aider les enfants à mieux comprendre le monde dans lequel ils vivent et à s’y situer pour en devenir des acteurs, les animateurs doivent, comme ils l’ont fait ici, travailler leur positionnement, interroger leurs pratiques, sans sous-estimer la place singulière qu’ils occupent (ou devraient occuper) au sein de la communauté éducative.