La question de la Pratique Religieuse … Le méli-mélo en Maison d’Enfants à Caractère Social

©Guillaume Dopus - Faire l'autruche ou inverser les perspectives

Laïcité, pratique religieuse, choc des cultures, origines étrangères … quel ensemble ! Que doit-on en penser? comment travailler avec cet état de fait. 

La protection de l’enfance est un secteur dans lequel se croisent des jeunes de toutes les origines, de tous les milieux sociaux. Bien sûr, le point commun des jeunes que nous accueillons, est une carence éducative principalement, avec pour certains de la maltraitance ou de l’abandon. 

Néanmoins, dans ce même cadre, nous accueillons des Mineurs Non Accompagnés (MNA), ayant un parcours migratoire compliqué et ô combien traumatisant. Les origines et les peuples se côtoient, qui parfois se sont déchirés dans leur pays d’origine. Les cultures et les religions viennent alors percuter la réalité de leur quotidien.

Et avec tout ça … il faut cohabiter. Permettre à chacun de garder sa culture, sa religion. 

La loi nous permet de pouvoir laisser chacun libre de sa pratique religieuse. En MECS, le brassage est important et nous pouvons nous retrouver autour d’une même table avec un chrétien, un athée, un musulman et un juif. 

La Convention internationale des droits de l’enfant du 20 novembre 1989 leur reconnaît le droit d’avoir une religion et de la manifester. 

Les outils de la loi 2002-2, rénovant l’action sociale et médico-sociale dicte les droits des usagers en la matière.  

la Charte des droits et libertés de la personne accueillie (arrêté du 8 septembre 2003), issue de cette loi, qui doit être remise à l’usager avec le livret d’accueil et le règlement de fonctionnement, stipule dans son article XI :   « Les conditions de la pratique religieuse, y compris la visite de représentants des différentes confessions, doivent être facilitées, sans que celles-ci puissent faire obstacle aux missions des établissements ou services. Les personnels et les bénéficiaires s’obligent à un respect mutuel des croyances, convictions et opinions. Ce droit à la pratique religieuse s’exerce dans le respect de la liberté d’autrui et sous réserve que son exercice ne trouble pas le fonctionnement normal des établissements et services. » 

Une fois dit cela, qu’est ce qu’on en fait ? comment travaille-t-on cela en équipe, avec les jeunes eux-même ? 

A la Maison André Marguet de Pontarlier, le traitement de ces questions est celui-ci : chaque jeune peut pratiquer librement sa religion, si cela ne perturbe ni l’organisation de la continuité de service, ni les autres jeunes eux-même. La pratique est facilitée d’un point vue de l’accès aux lieux de cultes, à la pratique du Carême ou du Ramadan, aux fêtes religieuses.

La question du Ramadan fut un peu épineuse il y a 4 ans en arrière, avec la mise à l’index bien trop facile à faire dans le contexte de l’époque (attentats de Charlie Hebdo et de l’Hyper Casher). 

La question a été traitée avec beaucoup de calme et de sérénité, dans le consensus, la bonne intelligence de part et d’autre. 

Les jeunes souhaitaient pratiquer le Ramadan, cela tournait même en revendication de la part de certains. A ce moment là, nous avions beaucoup de jeunes MNA issus de l’Afrique Subsaharienne, pratiquant l’Islam. Seulement, les jeunes n’avaient pas acquis les codes de communication, ni les us et coutumes de notre pays. En somme, le choc des cultures évoqué plus avant …

Il a fallu un peu de temps pour expliquer que “oui vous pouvez pratiquer le Ramadan, mais il y a un certain nombre de choses à mettre en place avant”. C’est là-dessus que le gros du travail s’est opéré. 

Nous avons provoqué une réunion avec les délégués des jeunes, et les jeunes concernés eux-même. La question était simple : “ Oui, vous pouvez pratiquer le Ramadan, mais comment faire pour que cela se fasse sans que cela ne perturbe ni le fonctionnement, ni les autres jeunes ?” 

La Direction a proposé de permettre aux jeunes de pratiquer en les responsabilisant sur les temps de prière et de rupture de jeûne. 

Ce qui est alors proposé : 

  • les jeunes se réveillent seuls aux heures prescrites par le calendrier officiel
  • le surveillant de nuit n’intervient pas dans cette démarche (mais peut l’accompagner s’il le souhaite - à ce moment là nous avions un personnel de nuit pratiquant le Ramadan qui a été soutenant dans cette démarche et a accompagné les jeunes dans la leur -).
  • la prière se fait dans la chambre, sans réveiller le camarade s’ils sont deux en chambre.  
  • concernant le repas : le repas du soir sera pris après les autres, avec la part gardée pour chaque pratiquant. Le repas du matin sera pris dans le calme, sans bruit. les jeunes peuvent cuisiner la veille ou sur le moment le plat prévu. Nous proposons un petit déjeuner amélioré, avec des fruits secs par exemple, un peu de charcuterie hallal.
  • la production de viande hallal n’étant qu’une exception dans l’association et la structure, elle est néanmoins possible, occasionnellement les week-ends par exemple. Elle le sera également une à deux fois par semaine.
  • la fin du Ramadan sera fêtée comme une autre fête religieuse comme Noël ou Pâques. 
  • possibilité de se rendre à la mosquée pour la prière.

Les jeunes, ayant eu la garantie qu’ils pouvaient pratiquer leur culte, se sont complètement impliqués dans le cadre proposé et ont tenu leurs engagements, et ce depuis maintenant 4 ans …

Nous avons même fait venir l’Imam de la mosquée pour traiter la question avec les plus jeunes (10 - 13 ans), qui nous soutenaient que le Ramadan était obligatoire et n’entendaient pas notre discours bienveillant par rapport à leur santé et le rythme scolaire. L’Imam est venu leur dire que nous avions raison dans notre démarche et que l’idée que nous avions amenée qu’ils pouvaient le faire 1 jour ou 2 par semaine était intéressante. Ce qui compte à leur âge c’est la démarche et non le résultat. 

Depuis, chaque année, des jeunes s’essaient à la pratique, d’autres vont au bout de la démarche (les plus grands), le tout en respectant le cadre, le collectif, les engagements pris. Il n’y a pas de tension par rapport à ce mois de jeûne. Cette année, une fête est une nouvelle fois venue ponctuer la fin du Ramadan, comme nous fêtons Noël, comme nous cachons des oeufs dans le jardin à Pâques.

Notre mission est aussi celle-ci : permettre l’épanouissement personnel de chaque personne suivie, offrir la possibilité de … permettre la compréhension de … 


Pierre AGAMENNONE

DESJEPS

Directeur de la Maison d’Enfants à Caractère Social - Pontarlier


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