Guillaume Dopus - Le concret des choses
Depuis quelques années, à Trajectoire Formation, nous avons « empoigné » la question du numérique : c’est un axe fort de notre projet associatif TF 2.0, nommé « jeunesse et numérique ». Un nom qui affirme que, pour l’éducation populaire, c’est dans les rapports entre jeunesses et numérique que se situe l’enjeu principal de cette (r)évolution.
Ainsi, nous travaillons ces questions, au Conseil d’Administration, en équipe pédagogique, en formation diplômante et continue, … Étant souvent « cheville ouvrière » dans ces discussions, je suis beaucoup revenue sur les représentations des professionnels sur le numérique (en lien avec la jeunesse, mais pas que). Et je peux aujourd’hui, de mon point de vue, voir qu’il se cache derrière ces visions parfois stéréotypées, de nombreux lieux communs, qui sont utilisés aussi souvent qu’ils sont peu questionnés. Mais est-ce vraiment si surprenant ? Qui, parmi nous, peut se vanter de tout comprendre des bouleversements en cours dans la société ? Qui peut dire lesquels sont à imputer au numérique et dans quelle mesure, ce qui n’était à la base qu’une innovation technologique, a transformé le rapport au monde d’une partie de la population ?
A Trajectoire en tous les cas, on ne prétend pas avoir les réponses à ces questions. Cependant, quitte à travailler « IRL » ces lieux communs avec nos stagiaires, nos collègues, … on s’est dit qu’on pouvait aussi partager avec vous ce qui est issu de ces réflexions.
Voici donc le premier épisode d’une série sur les lieux communs du numérique. Et on commence avec celui qui est peut-être le plus utilisé et le plus diffusé : la fracture numérique.
On l’entend partout depuis bientôt 2 décennies : la « fracture numérique » serait le danger du siècle, (voire du millénaire), la nouvelle cause de la fracture sociale, la formule parfaite pour argumenter certains discours, qu’ils soient médiatiques ou politiques.
Cette distinction nous permet d’avoir d’un côté, tout ce qui relève de l’équipement et de l’accès : il s’agit de regarder, à la fois la couverture territoriale en terme d’accès à internet (et on voit alors apparaître des inégalités territoriales, les fameuses zones blanches, qui devraient disparaître progressivement avec le déploiement de la fibre et du réseau mobile 4G) et le taux d’équipement des français en terminaux numériques. Ici, très clairement, la plupart des français ont au moins un terminal (smartphone, tablette, ordinateur). Ceux qui n’en n’ont pas sont soit, des « déconnectés volontaires » (qui ne souhaitent pas avoir de smartphones par exemple), soit des plus de 70 ans (même si cette tranche d’âge est aujourd’hui celle dont le taux d’équipement connaît la plus forte progression). Si, pendant longtemps, les inégalités de revenus ont pu expliquer ces inégalités en termes d’équipement, ce n’est aujourd’hui plus le cas : avec l’arrivée des smartphones « low-costs » et des abonnements mobiles à bas prix, il n’y a presque plus de différence significative au niveau du taux d’équipement et de l’accès à internet selon les niveaux de revenus.
On voit donc que sur cette question de l’équipement et de l’accès, nous sommes face à une situation où les inégalités tendent à diminuer (notamment si l’on enlève les « déconnectés volontaires », qui ont choisi cette situation et ne la subisse pas).
Pour avoir une vision précise des évolutions sur la question de l’accès et de l’équipement, une source fiable et actualisée est le « baromètre du numérique », publié chaque année par le CREDOC (Centre de recherche pour l'étude et l'observation des conditions de vie) et l’Arcep (Autorité de régulation des communications électroniques et des postes). Par exemple, vous pouvez vous référer au baromètre 2017 : une infographie synthétisant quelques chiffres principaux, ou le résumé des résultats de l’enquête.
Les jeunes maîtriseraient le numérique (avec la création de l’expression « digital natives », traduisez « enfants du numérique »), les plus âgés étant considérés comme incompétents en la matière, voir même partants avec un handicap pour développer ces compétences.
La situation n’est pas aussi simple ! Certes, les jeunes générations ont grandi « le nez sur les écrans ». Mais il est aujourd’hui avéré que le temps passé dessus est loin de suffire pour maîtriser l’outil numérique. Qu’il s’agisse de recherche d’informations, de compréhension du fonctionnement des technologies, de mise à profit des usages personnels du numérique dans une visée professionnelle, etc. clairement, toutes les jeunesses ne sont pas égales. On retrouve ici des inégalités qui sont liées à l’environnement social, à l’éducation, au niveau d’études, aux catégories socioprofessionnelles des parents, bref : des inégalités socio-économiques assez classiques finalement, qui font que la jeunesse est très loin de représenter une catégorie homogène d’experts du numérique.
En 2012, le philosophe Michel Serres publiait un livre qui a fait grand bruit, Petite Poucette. Il y défend l’idée que les « enfants du numérique » auraient davantage accès aux personnes et aux savoirs. Il ajoute même que pour cette génération, le numérique provoque des changements cognitifs importants, de la même ampleur que lors du passage de l’oral à l’écrit dans les sociétés humaines (nous sommes d’ailleurs pour lui en train de vivre une troisième révolution, après le passage de l’oral à l’écrit, puis de l’écrit à l’imprimé). Ses considérations sont certainement fondées, mais elles s’appliquent clairement aux jeunes appartenant aux classes sociales moyennes et supérieures de la population. Pour les plus défavorisés, on est loin de ces « nouveaux être humains » pour qui le numérique est un formidable levier de développement.
Ainsi, en 2012, 65% des non-usagers du numérique disaient ne pas l’utiliser parce qu’ils étaient isolés socialement. La seule explication de l’âge (digital natives vs personnes âgées) ne suffit donc pas à expliquer à elle-même la fracture numérique qui existe aujourd’hui. Cette fracture est bien liée à des facteurs socio-économiques et est en fait un symptôme d’autres problématiques rencontrées par ces personnes (dont l’isolement).
Comme le dit l’anthropologue Pascal Plantard, « les capacités de relation, de communication, de lien social des technologies habillent ceux qui sont déjà les plus habillés en terme de capital culturel et déshabillent probablement ceux qui sont les plus fragiles ».
Clairement, la fracture numérique est une fracture sociale. Elle est un symptôme des inégalités sociales et économiques de notre société, et non une cause. Même si, avec la nécessité de plus en plus grande de maîtriser le numérique pour s’intégrer dans la société (trouver un emploi, faire des démarches administratives en ligne, …), être un « exclu du numérique » renforce encore plus les difficultés rencontrées. Un cercle vicieux en somme.
Pour l’éducation populaire, lutter contre la fracture numérique, c’est lutter contre les inégalités et œuvrer pour une société plus égalitaire, où chacun pourrait développer ses potentialités sans être « enrayé » par sa non maîtrise du numérique.
Pour autant, faire ce constat, c’est partir du postulat que les classes populaires sont forcément « handicapées » du numérique et qu’elles auraient un retard à combler dans ce domaine. C’est vrai pour certains usages (recherche d’emploi, e-administration, …), mais attention à ne pas catégoriser les publics précaires comme des « handicapés du numérique »… Surtout que, si l’on y regarde de plus près, ces publics sont loin d’être en déficit d’usages numériques. Mais pour cela, il ne faut pas regarder avec les mêmes lunettes que ceux qui parlent d’un « capital numérique » que chacun posséderait, de la même manière qu’il y a des capitaux social, économique, culturel, … en référence à Bourdieu. Sinon, on se retrouve à ne parler qu’en terme de déficit, une logique proche de l’assistanat et loin des valeurs de l’éducation populaire…
Ainsi, Dominique Pasquier, sociologue ayant enquêté sur les pratiques numériques des classes populaires en milieu rural, décrypte les rapports et études des institutions qui analysent la fracture numérique : « si la question de l’accès est en passe d’être résolue, les usages des classes populaires restent moins variés et moins fréquents que ceux des classes moyennes et supérieures, nous apprennent ces mêmes rapports [NDLR : rapports annuels du CREDOC]. Les individus non diplômés ont plus de mal à s’adapter à la dématérialisation des services administratifs, font moins de recherches, pratiquent moins les achats, se lancent très rarement dans la production de contenus. Bref, il y aurait en quelque sorte un « Internet du pauvre », moins créatif, moins audacieux, moins utile en quelque sorte… »
Si on change de lunettes et que l’on ne postule pas qu’il y a des pratiques du numérique qui valent plus que d’autres (produire du contenu sur internet serait plus bénéfique que de le consommer, par exemple), on observe que le numérique a aussi changé bien des choses pour les classes populaires et pas seulement en augmentant les difficultés, mais aussi en produisant des transformations positives : « Un tel changement de focale permet d’entrevoir des usages qui n’ont rien de spectaculaire si ce n’est qu’ils ont profondément transformé le rapport au savoir et aux connaissances de ceux qui ne sont pas allés longtemps à l’école. Ce sont par exemple des recherches sur le sens des mots employés par les médecins ou celui des intitulés des devoirs scolaires des enfants. Pour des internautes avertis, elles pourraient paraître peu sophistiquées, mais, en attendant, elles opèrent une transformation majeure en réduisant l’asymétrie du rapport aux experts et en atténuant ces phénomènes de « déférence subie » des classes populaires face au monde des sachants ».
Alors, finalement, oui la fracture numérique est réelle, elle est la conséquence des fractures sociales qui existent dans la société et elle vient les renforcer. Mais regarder les pratiques numériques des classes populaires en y voyant un moyen de répondre à des besoins ou à des difficultés rencontrées permet de voir que cet « internet des pauvres » fait sens pour ce public et qu’il permet une certaine forme d’émancipation : « des salariés qui exercent des emplois subalternes et n’ont aucun usage du numérique dans leur vie professionnelle passent aussi beaucoup de temps en ligne pour s’informer sur leur métier ou leurs droits : […] des assistantes maternelles y parlent de leur conception de l’éducation des enfants, des aides-soignantes ou des agents de service hospitaliers de leur rapport aux patients. On pourrait aussi souligner tout ce que les tutoriels renouvellent au sein de savoir-faire traditionnellement investis par les classes populaires : ce sont des ingrédients jamais utilisés pour la cuisine, des manières de jardiner ou bricoler nouvelles, des modèles de tricot inconnus qui sont arrivés dans les foyers ».
Alors, si nous sommes convaincus qu’il faut résoudre cette fracture numérique, sommes-nous si sûrs de savoir comment le faire ? Les moyens mis en œuvre pour cela trahissent des visions catégorisées de la société … et des « pauvres ». Ainsi, ceux qui veulent absolument « faire acquérir » des compétences numériques créatives aux publics précaires, ont-ils bien compris les enjeux ? Ceux qui veulent « leur apprendre » à s’informer, à ne pas croire tout ce qui circule sur internet, comme si ce public était trop ignare pour y arriver par lui-même, quel regard portent-ils sur les classes populaires ? Nous sommes là au cœur d’un débat que l’éducation populaire se doit d’avoir, en réaffirmant ses principes : chaque individu porte en lui les capacités à s’émanciper, on ne vise pas à « apporter » aux plus en difficulté la culture ou le savoir produits par les classes supérieures, …
A nous de nous saisir du numérique dans notre lutte contre les fractures sociales, sous peine de quoi, ce chantier sera investi par des acteurs bien loin des valeurs de l’éducation populaire (Facebook et Google, parmi d’autres, ont lancé des programmes visant à lutter contre la fracture numérique…)
Pauline Fattelay
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Introduction et présentation de Pascal Plantard
Les Cycles du numérique
Les processus du numérique
Le monde numérique un espace de découverte
La technologie, entre Empowerment et Aliénation
La fracture du numérique
E-inclusion et education
Les jeunes en errance et le numérique
Les pratiques numériques des personnes handicapées.
Le pouvoir des usagers
A la MJC Ronceray – L'Alambic au Mans, un groupe de jeunes adolescents occupe régulièrement le hall d’accueil. Ils viennent tous les jours, sans demande, mais pas sans bruit. Souvent ils interpellent, bousculent et remettent en question les règles de la maison. Parfois leur indifférence ou leur provocation décontenance des professionnels qui aimeraient plus de relation. Sur le chemin du retour entre le collège et chez eux : « C’est obligé, on s’arrête à la Aimjicé ! ».
La direction a fait appel à Trajectoire Formation pour, dit-elle, « aider l’équipe à construire un regard collectif sur la jeunesse ». Récit de trois journées d’intervention de Corinne Schlicklin et Guillaume Guthleben, à l’autre bout de la France, entre septembre 2015 et juin 2016, dans une structure fermée pour l’occasion et dans laquelle nous ne verrons donc qu’un hall vide…
| Guillaume Dopus - tricoter n'attend pas le nombre des années |
Dès l’entrée, le hall s’impose comme l’espace central de la MJC : immense (au bas mot 150 m2), lumineux (une verrière le surplombe) et investi (avec à notre arrivée, une très belle exposition photographique… de personnes âgées !). On sent dès le départ, « un vrai projet pour le hall ». Ouvert, il n’engage à rien, on peut s’y poser pour lire, se renseigner, repartir avec des brochures d’information. On peut aussi s’y imprégner d’une ambiance qui donne à voir ce qui se passe dans les salles tout autour (la salle d’arts plastiques, le dojo, la salle de spectacle, la médiathèque…).
Nous trouvons une équipe en réelle souffrance au point qu’elle a du mal à décrire et circonscrire les situations bloquantes. La première journée permettra simplement d’énoncer les difficultés et de verbaliser la complexité des ressentis : des jeunes qui nous touchent et nous énervent ; un hall qu’on a voulu ouvert et pour lequel on est obligé de poser des règles ; des adolescents intéressants individuellement mais ingérables dès qu’ils sont en groupe ; une parole qui finalement ne sert pas à résoudre des conflits mais plutôt à les accentuer.
Cette journée éclaire de fortes différences de perceptions et de représentations entre jeunes et adultes, rendues semble-t-il plus visibles depuis l’attentat contre Charlie Hebdo. Autour du respect tout d’abord : là où les uns (les adultes) attendent une attitude de politesse comme préalable à tout échange, les autres (les jeunes) opposent un comportement de frime et de provocation, important dans le hall de la MJC des codes du quartier qui ici paraissent décalés. Autour de la communication ensuite : là où les uns (les adultes) attendent une relation construite, dans laquelle ce qui a déjà été partagé consolide le lien, les autres (les jeunes) ne sont que dans l’échange spontané, immédiat et apparemment ingrat.
Quatre mois plus tard, le 7 janvier 2016 (un an après les attentats contre Charlie Hebdo), la décoration du hall a changé. Il abrite une exposition réalisée suite à la venue de Latifa Ibn Ziaten, mère d’un militaire tué par Mohammed Merah. L’engagement culturel et politique de la MJC est clair.
Lors de cette deuxième journée, nous invitons l’équipe à une description et une analyse plus approfondies d’une situation rencontrée avec les jeunes. La directrice se jette à l’eau pour évoquer un événement qu’elle a géré seule et dont elle ressort avec une impression mitigée : dans le hall, des collégiens préparaient très bruyamment un exposé sur Frida Khalo, gênant les professionnels au travail dans leurs bureaux.
La directrice se questionne… Qu’est-ce que je cherchais à faire en leur demandant de faire moins de bruit ? N’était-ce pas normal qu’ils débattent ? Pourquoi ne voulaient-ils pas de mon aide, sur un sujet culturel de surcroît ? Pourquoi me suis-je laissée déstabiliser par le leader du groupe ? Pourquoi n’ai-je pas fait appel plus tôt à mes collègues ? Pourquoi mes collègues n’ont-ils pas abandonné leur tâche pour limiter la nuisance de cette situation ?
Notre défi d’animateurs était de rendre la discussion en équipe possible autour de situations clivantes. La directrice nous y a aidés en acceptant de parler de son inconfort et de ses doutes. Ce fut aussi l’occasion de questionner l’identité de la structure (que signifient le « J » et le « C » dans MJC ?) et de (re)formuler les missions essentielles autour desquelles chaque salarié, quelle que soit sa place, se retrouve.
Du sentiment d’être dans une impasse du premier jour, les professionnels ont alors l’impression d’avoir assaini la situation, explicité des choses qui touchaient en premier lieu à l’équipe et que les difficultés avec les jeunes ne faisaient que révéler. Le hall peut (re)devenir un espace d’approche et d’accroche des jeunes.
Le troisième et dernier jour, neuf mois après notre première venue, nous trouvons une équipe remobilisée, lucide et clairvoyante, en capacité de mieux observer et discuter collectivement. Désormais, les situations complexes mobilisent plutôt qu’elles divisent.
Nous aidons l’équipe à identifier des axes majeurs de positionnement en direction des jeunes. Positionnement qui peut alors se faire en écho et non plus en réaction… En écho aux préoccupations des adolescents : comment parler d’un sujet sensible comme les relations entre garçons et filles ? En écho aux centres d’intérêts des jeunes : comment faire avec ceux qui expriment des idées et amènent des envies ? En écho aux provocations verbales : comment responsabiliser les leaders par un engagement valorisant ?
Ce qui donne sens à ce positionnement, c’est une habitude mieux partagée d’échanger en équipe autour de quelques thématiques liées à l’adolescence : sur la fonction transitionnelle que semble visiblement jouer le hall pour les jeunes entre leur collège et leur domicile ; sur le besoin d’investir un lieu qui ne soit pas trop soumis à un contrôle d’adulte ; sur la force des pairs et l’influence des leaders ; sur l’articulation entre les mondes physiques (le collège, la MJC, le domicile) et les mondes virtuels (les réseaux sociaux, les jeux, internet).
Nous quittons une équipe mieux à même de penser les paradoxes et les ambivalences de cette période clef du développement de l’être humain et qui combine énergie/fatigue, liberté/risque, singularité/ressemblances, opposition/construction. Nous quittons une équipe renforcée dans son choix de faire de ce hall est un espace ouvert et libre d’accès.
Une anecdote pour finir : un animateur nous raconte avoir voulu prendre un verre avec un groupe de jeunes, à la terrasse d’un café-concert, juste après la visite du studio d’enregistrement de la salle. Et d’être confronté au refus du patron de « servir des jeunes de quartier »… Révolte de l’animateur face à cette discrimination, soutenu par sa directrice. S’il fallait une communauté de destin pour donner sens à un combat, les jeunes et les professionnels de la MJC l’ont trouvée.
Guillaume Guthleben
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Paraphrasant le titre de la recherche de Vincent Berry « Jouer pour apprendre est-ce bien
sérieux ? », on pourrait être enclin à suivre la pente naturelle d’une opinion encore largement répandue aujourd’hui pour laquelle il ne peut y avoir d’apprentissage en s’amusant, qui plus est avec des jeux vidéo dont le sens commun renifle instantanément l’odeur de soufre.
Le jeu stimulerait la motivation et favoriserait la participation, caractéristiques qui ont depuis longtemps intéressé les éducateurs au point d’établir la ferme conviction que le jeu serait une expérience indispensable au développement de l’enfant. Le jeu vidéo, bien reconnu comme un jeu et clairement situé dans l’univers du loisir, pourrait effectivement s’associer à des apprentissages.
Cependant, le jeu pourrait être envisagé non seulement comme un support plus motivant où s’appliqueraient, s’exerceraient des savoirs uniquement acquis ailleurs, mais comme une expérience où pourraient s’élaborer de nouveaux savoirs et savoir-faire. Minecraft serait un jeu constructiviste au sens de la théorie piagétienne qui « offre aux élèves (et aux joueurs) les capacités de recueillir des connaissances à travers l’expérimentation».
La chance souriant aux audacieux, Manon Kratofil et moi, avons profité de la proximité d’un lieu où de telles idées avaient non seulement cours mais étaient mises en pratique depuis plus d’une année.
Ainsi, nous nous sommes fait inviter -par son directeur Marc Kanhye - à la MJC de Chenôve, dans la proximité de Dijon, pour rencontrer les participants de l’atelier Minecraft et leur animateur Kevin Martin. Kevin prépare un doctorat en sociologie dont le sujet traite de la participation citoyenne. Il étudie le fonctionnement du conseil citoyen de la ville de Chenôve et a proposé d’y inclure la participation des jeunes à travers le volet de la rénovation urbaine. L’atelier fonctionne maintenant depuis plus d’une année et il s’appuie sur la pratique du jeu vidéo Minecraft. Le jeu vidéo Minecraft est ainsi utilisé par 6 adolescents de 13-14 ans pour simuler un travail de rénovation urbaine sur l’espace de la ville. Dans l’espace virtuel, ces joyeux garnements détruisent des immeubles, des rues, des centres commerciaux, de vieux équipements de quartier pour aussitôt en recréer de nouveaux plus conformes, selon eux, aux besoins d’aujourd’hui.
S’inspirant des briques du jeu de construction Lego, dans Minecraft il s’agit principalement de construire entièrement un monde comme on le désire (maisons, routes, objets, outils, armes, nourritures, industries, technologies, agricultures) avec des cubes qui représentent des matériaux divers.
L’équipe de la MJC de Chenôve découvre un angle d’attaque particulier : des cartes IGN sont éditées par l’Institut National de Géographie au format Minecraft, cela veut dire que vous pouvez commander à l’IGN une carte d’un territoire de 5km sur 5km livrée sous forme de fichier informatique au format compatible avec Minecraft.
Le contenu du projet développé par la MJC de Chenôve a donc consisté à proposer à une petite dizaine d’adolescents de réfléchir à la transformation de leur espace de vie, de leur quartier, de leur ville. Pour cela, aidés de l’espace virtuel de Minecraft, ils ont entrepris de :
- Redessiner la représentation standardisée générée par la carte IGN en l’adaptant au plus proche de l’espace réel (couleurs, configurations et agencements…). Ce travail a été mené en constant va-et-vient entre l’espace réel (repérages, photos, …) et l’espace simulé dans le jeu.
- Redéfinir l’espace par la simulation de destructions et de reconstructions (d’immeubles,de bâtiments, de rues…)
- Communiquer avec des publics, des institutions en réalisant des clips vidéo de démonstration et en éditant l’historique de leur projet sur un blog (http://chenoveradiocraft.blogspot.fr/). Ainsi les membres de l’atelier et leur animateur ont-ils été invités à présenter leur travail au Maire de Chenôve puis aux stagiaires enseignants de l’ESPE (Ecole Supérieure du Professorat et de l’Education) (http://mjc.chenove.net/lire-1830.html)
Aux débuts de l’atelier, les experts techniques ce sont les jeunes qui « savent déjà jouer à Minecraft ». Le responsable adulte de l’atelier n’a aucune connaissance du jeu. Mais il peut s’appuyer sur le savoir-faire et connaissances des jeunes préexistantes au projet. L’adulte apporte, cependant, la proposition de travailler à la modification de l’espace réel et sa simulation dans le jeu. Il proposera également de produire des documents (écrits, vidéo) comme supports de la mémoire du projet et outils de communication. Le travail est organisé collectivement en articulant les tâches et les compétences des uns et des autres. Il donne lieu a de constants échanges. L’adulte n’a pas à proprement parler de savoirs à transmettre mais il coordonne le travail, propose une organisation, une progression, anime la discussion, demande qu’on apporte des solutions (techniques) ou des propositions (d’aménagement de l’espace).
L’expérience de cet atelier est ainsi au croisement d’apprentissages informels initialement individuels mais qui sont partagés dans l’expérience du jeu (échanges, recommandations entre pairs, mais aussi jeu à plusieurs en réseau) et d’apprentissages formels organisés dans un espace, un lieu et un temps fixés et convenus à l’avance (la cadre d’un atelier à la MJC qui se déroule tous les mercredis de 14h à 17h en présence d’un animateur adulte). Les aspects ludiques qui président à l’expérience à l’intérieur du jeu (constructions, création de mondes, gestion des ressources…) sont mis au profit d’une simulation de transformation de l’espace réel. Le jeu devient projet.
L’atelier de la MJC de Chenôve a déjà prévu une étape nouvelle dans ce travail de simulation d’une transformation de l’espace quotidien. Les ressources du jeu vont être utilisées pour offrir aux habitants la vision des transformations imaginées. Ainsi des pancartes signalétiques portant des QR codes vont être installées dans le quartier aux différents endroits ou des transformations ont été imaginées et simulées dans Minecraft. Les habitants pourront ainsi, sur place, voir sur leur téléphone portable le clip Minecraft montrant le nouvel aménagement proposé du lieu où ils se trouvent. On imagine sans peine le nombre important de possibilités - utilitaires et poétiques –offertes par la mise en relation, en temps réel et en situation, de l’espace réel et de sa représentation virtuelle augmentée. Un champ qui est maintenant exploré par un groupe d’adolescents à la MJC de Chenôve où leur expertise du jeu vidéo Minecraft les a réunis.
Par François Sanchez, stagiaire Master Sciences de l’éducation UHA Mulhouse à Trajectoire Formation
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C’est l’histoire d’une histoire à créer à partir de l’histoire. Des adolescents et des séniors : la dynamique
De l’audio et du sonore : le numérique.
La ville de Luxeuil les Bains va être revisitée. Le numérique devient un objet de recherche partagée entre adolescents âgés de 11 à 17 ans et personnes âgées de plus de 60 ans. Tous ces acteurs en s’appuyant sur un parcours urbain feront découvrir la ville par des anecdotes sonores, par des images, par des récits de vie.
Du côté de Noidans les Vesoul :
« Cybergénération » : Génération des enfants nés après 1995, ayant baigné dans internet toute leur vie. Voici la définition de « Cybergénération ».
Est-ce que les adultes sont astreints à la ringardise ? C’est aux éducateurs des différentes structures de mettre en place des actions au travers et par le numérique de façon ludique pour faire avancer les critiques.
Oui, les personnes âgées peuvent surfer sur internet, mais comment doivent- elles naviguer sur la toile sans problème technique ou éthique ? Est-ce que les jeunes adultes sont vraiment bien initiés à l’utilisation d’internet ?
Voici quelques exemples concrets que j’ai pu mettre en place au sein de l’Espace Libre Jeunes de Noidans-Lès-Vesoul ou en intervention en établissements scolaires :
Nos objectifs :
• Eveiller la curiosité et aiguiser le sens critique de l’utilisateur d’internet.
• Sensibiliser aux différents risques des réseaux sociaux/jeux-vidéos/internet.
• Répondre aux attentes des usagers.
• Sensibiliser les familles aux usages numériques actuels.
Atelier Google
Un après-midi tous les deux mois, était consacré pour ce projet. Des binômes adolescents/personnes âgées travaillaient ensemble sur différents logiciels de traitement de texte ou certains réseaux sociaux. Les jeunes se sont investis à 100% et prenaient plaisirs à partager leur savoir faire ou conseils. Du coté des personnes âgés, nous pouvons retenir une seule phrase pour comprendre leur ressenti sur les séances : « Ils sont quand même bien nos jeunes d’aujourd’hui ».
Théâtre forum
Figure fondamentale pour soutenir l’interaction entre la salle et la scène, l’animateur favorise le débat avec le public et coordonne les interventions des spectateurs sur scène et les réactions des comédiens. Pendant le spectacle, il conduit la réflexion le plus loin possible et porte les pistes de réflexion proposées par le public en l’amenant à développer son point de vue, à préciser ses intentions.
Notre sujet sera donc internet et les réseaux sociaux, comment ça marche ? Cette technique est utilisée lors de soirées parents dans des établissements scolaires ou dans des centres sociaux.
Photo langage
Un photo langage est un ensemble de photos ou dessins très variés mis à disposition du public. La photo est un objet de projection. C’est-à-dire que celui qui l’a choisi va, en privilégiant certains détails, lui attribuer des propriétés qui lui sont propres. En quelque sorte, la photo va devenir un prolongement de lui-même tout en restant un objet extérieur. C’est ce processus qui va lui permettre le « moi-dire », c’est-à-dire de parler à la fois de lui en même temps qu’il parle de la photo. Cette technique va faciliter l’échange dans la mesure où chacun peut à la fois parler de lui et se cacher derrière l’image.
Pour cet atelier, chaque photo est sélectionnée afin de pouvoir débattre sur des thèmes bien précis tels que : le Cyber Harcèlement, le rendez-vous amoureux sur internet, importance du mot de passe, sites internet sécurisés ou non et comment se sécuriser et protéger sur les différents réseaux sociaux….
En clair, l’instauration d’une société vraiment numérique mérite une réflexion citoyenne et familiale sur l’utilisation d’internet. Non aux portes enfermant chaque classe d’âge dans des pratiques qui lui sont propres. Aux adultes, on pourrait dire "n’ayez pas peur des mystères de la chambre jeune", et aux ados "initiez vos grands-parents à la culture numérique, histoire de chatter avec eux, aussi."
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Trajectoire Formation et Trajectoire Ressources ont proposé un cycle de formation destiné aux professionnels de l’animation et du développement social local intitulée « Pratique des réseaux sociaux » avec le soutien de PMA et de la DRJSCS Bourgogne Franche-Comté.
Questionner les enjeux et les leviers qu’offrent les réseaux sociaux pour travailler avec son public dans une démarche d’Education populaire, telle était l’ambition de ce cycle.
Des animateurs, en poste ou en formation, des directeurs de structures, des acteurs de la prévention spécialisée, des acteurs de la politique de la ville se sont frottés à cette question parfois épineuse pour les professionnels : « on préfère le contact direct avec les jeunes », « le numérique, c’est que de la consommation »… montrant à quel point ils n’ont pas ou ne veulent pas empoigner cet outil, y compris au niveau des directions et des élus.
Monia, directrice de la maison de quartier Jacques Brel à Belfort, le confirme: « Intégrer ce cycle de formation m’a amené à me questionner sur ma pratique des réseaux sociaux, qu’elle soit personnelle ou professionnelle. J’ai été très vite amenée à confronter mes représentations à celles des autres professionnels en formation, c’est à ce moment-là que j’ai pris conscience de l’image négative que je pouvais avoir de cet outil. »
Souvent associé à des pratiques individuelles, coupant la communication et les projets en groupe ainsi qu’aux risques encourus (harcèlement, théories du complot…), le numérique est laissé de côté, les professionnels préfèrent rencontrer les jeunes « en vrai » et mener des actions et des projets « avec des groupes ». Comme si numérique et IRL étaient opposés, incompatibles, comme s’il fallait choisir entre l’un ou l’autre, comme si le numérique était dénué de toute dimension collective et participative.
Dans un contexte où les structures peinent à mobiliser ou faire venir les jeunes, est-ce qu’on ne rate pas alors une belle occasion d’accrocher les jeunes en allant sur leur terrain ? Et finalement, ne s’agit-il pas aujourd’hui du terrain de tous ? Les jeunes pourraient ainsi même permettre aux « adultes » de s’approprier un monde où la séparation entre numérique et IRL a désormais disparu. « Le Numérique évoque, bien plus qu’un outil de communication, une transformation du rapport au monde et à la connaissance. Il constitue un formidable levier d’accès à l’information et au savoir, d’expression et de mobilisation populaire… »
Des initiatives partout se développent pour permettre la rencontre avec le public sur les réseaux sociaux (Les promeneurs du Net), favoriser l’implication des jeunes dans les projets (alimenter un journal de bord sur Facebook, présenter et valoriser les actions menées…), le développement de leurs compétences en faisant (communiquer, monter des projets, découvrir, affiner, transmettre un talent artistique…), leur engagement (donner son opinion, affirmer des valeurs, afficher son soutien à des causes, mobiliser des groupes y compris IRL…). Autant de possibilités de faire ce l’outil numérique un véritable levier.
Monia précise : « Les différentes rencontres avec l’animateur Romain CHIBOUT de la FOL 70, le sociologue Gilles DRONIOU, m’ont fait prendre conscience de la place de ces outils dans la vie de tous. Pour les professionnels de l’animation, il est incontournable de se saisir de la question pour pouvoir mieux comprendre et accompagner les publics. Il est vrai qu’à ce jour, dans notre structure, nous développons des projets sans forcément utiliser ces nouveaux outils, cela ne semble pas être un frein pour le développement de projets.
Pour moi il semble toutefois judicieux de « prendre de l’avance » et d’amorcer une réflexion avec mon équipe pour pouvoir construire avec eux une communication pertinente au service du projet. L’objectif est d’être proactif, ceci permettra à l’équipe de mieux appréhender cet outil pour une meilleure utilisation, l’idée est de co-construire avec eux afin qu’ils soient partie prenante et vivent cette construction plutôt que de la subir. »
Monia conclut : « Aujourd’hui, dans le champ de l’éducation populaire, il faut mettre ces nouvelles pratiques numériques au service de notre projet social ».
C’est aussi travailler à faire évoluer les pratiques d’animation et d’accompagnement des publics en réponse aux transformations de la société.
Trajectoire Formation s’est engagé(e) dans un nouveau projet associatif, TF 2.0, dans lequel la thématique « Jeunesse et Numérique » est un axe de travail fort. Différentes expérimentations avec les acteurs du champ de l’animation ont déjà été menées, donnant à voir l’enjeu du numérique comme levier pour construire la relation animateurs - jeunes et pour accompagner l'expression de leurs compétences et de leurs potentiels.
C’est cette thématique que nous avons choisi de mettre à l’honneur de la journée de rentrée des nouvelles promotions de stagiaires de Trajectoire Formation, à travers une conférence et une soirée conviviale.
Jacques Houdremont a développé son approche alliant Jeunesse, Numérique et Education populaire.
Quelques échos de la conférence :
Voir le numérique comme un support d’animation : au-delà de l'outil, ce qui compte, c’est le sens de l'action !
Une conclusion qui nous amène à interroger le rôle et la posture des professionnels de l’animation. Les partis pris d’éducation populaire doivent guider notre approche pour aborder la société numérique. Les questionnements des stagiaires portent sur le comment faire, sur la nécessité d’y aller ou pas, sur le fait de s’y sentir obligé, comme des résistances à l’œuvre…
Et si on en faisait un outil de convivialité au service du collectif ? Vivre l’expérience lors d’une soirée jeux vidéo à la Maison des Métiers de la Ville apporte un autre regard.
Pour répondre aux questions des stagiaires : « Comment faire ? »…
Le chantier est ouvert : y aller ou ne pas y aller ? La proposition est lancée aux stagiaires en formation.
Tout n’est pas écrit : à nous d’écrire les chemins, faisons ensemble, entrons dans la démarche de formation, soyons curieux, allons jouer sur le terrain des (et avec les) jeunes.
Se former, c’est se transformer.
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